1. Les origines de Chermignon
1.1 Une géographie déterminante
Chermignon, situé sur les coteaux ensoleillés du Valais central, est marqué par un environnement naturel riche mais exigeant. Le relief accidenté et les torrents qui traversent la région ont façonné à la fois son nom et son développement. Le terme Tsèrmegnôn , d’origine patoise, évoque les torrents impétueux qui caractérisent ce territoire. Ces cours d’eau, essentiels à l’irrigation des terres agricoles, expliquent en grande partie la présence humaine dans la région, car ils rendent possible la culture sur des terrains autrement arides.
Le paysage naturel a donc joué un rôle structurant dans l’histoire de Chermignon. Les terrasses de vignobles, soutenues par des murets de pierres sèches, sont devenues emblématiques de cette région, et leur création remonte probablement à l’Antiquité tardive ou au début du Moyen Âge. Ces vignobles prospéreraient grâce à un réseau complexe de bisses, des canaux d’irrigation collectivement gérés, qui permettaient d’amener l’eau des torrents jusqu’aux terres cultivées.
1.2 Les premières traces d’occupation humaine
Les premières populations de la région datent de l’époque celtique (VIIIe siècle av. J.-C.), comme en témoignent les tumulus et les tombes retrouvées dans les villages voisins, notamment à Ollon, Chelin et Saint-Clément. Les Celtes, tribus de bergers et d’agriculteurs, réussissent en harmonie avec les reliefs, utilisant les hauteurs pour surveiller les vallées environnantes et protéger leurs ressources des invasions.
Avec l’arrivée des Romains au Ier siècle avant J.-C., le Valais devient un axe stratégique pour le commerce et les mouvements militaires. Cependant, Chermignon, situé en altitude, reste à l’écart des principaux centres de colonisation romaine, comme Martigny ( Octodurus ) et Sion ( Sedunum ). Les plaines fertiles et les zones plus accessibles le long du Rhône furent privilégiées par les Romains pour établir leurs villas et infrastructures agricoles.
1.3 Une identité médiévale liée à Lens
Durant le Haut Moyen Âge, Chermignon faisait partie d’une entité plus large, l’ancienne commune de Lens, qui englobait également Montana et Icogne. Cette organisation collective s’explique par la nécessité de gérer les ressources naturelles (eau, pâturages et forêts) de manière coordonnée. Les premières communautés, souvent dispersées dans de petits hameaux, résident principalement de l’élevage et de l’agriculture, avec un accent particulier sur la viticulture dès le XIIe siècle.
2. Le régime féodal et les seigneurs locaux
2.1 Une organisation sous la domination féodale
Le système féodal, instauré dès le Xe siècle, structure l’organisation sociale et économique de Chermignon. Ce système hiérarchique, fondé sur des relations de dépendance entre les seigneurs et les paysans, régissait l’accès aux terres et aux ressources. Les habitants de Chermignon, comme ceux des autres villages voisins, possèdent sous l’autorité de seigneurs locaux qui détenaient le pouvoir économique et judiciaire.
Chermignon faisait partie de la châtellenie de Granges, une division féodale sous le contrôle des comtes de Granges. Ces derniers jouaient un rôle central dans la protection et l’administration des territoires environnants. Leur influence s’étendait à travers un réseau de fortifications, dont le château de Vaas, construit en 1221. Ce château servait à la fois de résidence seigneuriale, de lieu de stockage pour les redevances et de poste de défense contre les menaces extérieures.
2.2 Les grandes familles nobles
Au fil des siècles, plusieurs familles seigneuriales prirent le contrôle de la région. Ces lignées laissent une empreinte durable sur Chermignon, notamment à travers la toponymie et l’organisation des ressources :
- Les Corbières : Leur nom est encore associé à des lieux comme l’alpage de Corbire et des parcelles de vignobles.
- Les Tavelli : Ils possédaient des domaines et des châteaux à Diogne et Chermignon.
- Les Rovéréa : Connus pour leur gestion de forêts, comme la Rovéréta, ils jouèrent un rôle important jusqu’à la fin du régime féodal.
- Les Morestel et les de la Tour : Ces familles contribuèrent au développement des infrastructures locales, notamment des moulins et des forges.
2.3 Les obligations des paysans
Les habitants de Chermignon devaient payer des redevances aux seigneurs, sous forme de produits agricoles, de bétail ou de travail. Les corvées, obligatoires, impliquaient souvent l’entretien des chemins, des ponts ou des bâtiments seigneuriaux. En échange, les seigneurs offriraient une protection militaire et arbitrale, bien que ce dernier fût parfois source de tensions.
2.4 La fin progressive du régime féodal
Dès le XIVe siècle, un processus d’émancipation des paysans s’amorça. Les communautés locales commencèrent à racheter leurs obligations féodales, en payant des sommes importantes pour obtenir leur liberté. Ce mouvement s’accéléra au XVIIIe siècle, lorsque les paysans de Chermignon rachetèrent les dîmes dues à l’Église et les droits seigneuriaux. Cette transition marque un tournant, en permettant aux habitants de gérer directement leurs terres et en posant les bases de l’autonomie communale .
3. L’autonomie des sections et la démocratie naissante
3.1 Une organisation en sections autonomes
La grande commune de Lens, qui comprenait Chermignon, Montana et Icogne, était structurée autour d’un système de sections semi-autonomes. Chaque section, bien que subordonnée à une administration centrale, gérait ses propres biens et décidait des affaires locales. Cette organisation reflétait le besoin d’adapter la gestion administrative à la diversité géographique et sociale des territoires.
Chermignon se distinguait par ses ressources importantes en vignobles et forêts, qui étaient gérées collectivement par la section. Ces ressources étaient partagées entre les habitants sous forme de lots ou de droits d’usage.
3.2 Les assemblées primaires
Les assemblées primaires jouaient un rôle crucial dans la vie politique de Chermignon. Composées des représentants des familles locales, elles se réunissaient pour délibérer sur des questions importantes : la répartition de l’eau, l’entretien des bisses, la gestion des alpages et les décisions fiscales. Ces assemblées reflétaient une forme de démocratie directe, où chaque citoyen pouvait participer aux débats et aux votes.
Le vote se faisait souvent « aux pois », un système où des haricots blancs et noirs étaient utilisés pour représenter un choix. Ce procédé permettait à tous, y compris aux illettrés, de participer activement.
3.3 La maison communale
Construite en 1586, la maison communale de Chermignon symbolisait l’autonomie et la cohésion de la section. Ce bâtiment sert de lieu de réunion, de stockage pour les biens collectifs et de centre administratif. Il abritait également une cave où étaient entreposés les vins issus des vignobles bourgeoisiaux .
4. Lutte pour l’indépendance de Chermignon
4.1 Les tensions intra-communales
À la fin du XIXe siècle, des tensions croissantes émergèrent au sein de la grande commune de Lens. Chermignon, plus peuplé et économiquement plus dynamique que Montana et Icogne, estimait que ses contributions fiscales et ses efforts pour les travaux communaux étaient disproportionnés.
4.2 Une revendication légitime
En 1891, Chermignon déposa une pétition au Conseil d’État du Valais, dénonçant les inégalités dans la répartition des charges et demandant une autonomie complète. Montana et Icogne, confrontés à des frustrations similaires, soutiennent cette demande, créant un front commun.
4.3 La séparation officielle
Après de longues négociations et plusieurs consultations populaires, le Grand Conseil du Valais vota en 1901 pour la scission de Lens en quatre communes indépendantes : Lens, Chermignon, Montana et Icogne. Cependant, le partage des biens communs, notamment les alpages et les bisses, fut complexe et source de tensions. La séparation officielle fut finalisée en 1905, marquant un tournant décisif pour Chermignon .
Tiré de « La Bourgeoisies de Chermignon, son histoire », par René Duc, Erika Barras et Martin Barras, Editions des Arts Graphiques Schoechli à Sierre, 1986.
