1. Introduction
Les bourgeoisies valaisannes, institutions singulières du paysage juridique et social suisse, ont traversé des siècles d’évolution. Elles ont commencé comme des organisations économiques basées sur la gestion collective des ressources et sont devenues, au fil du temps, des entités politiques autonomes. À l’ère moderne, elles ont survécu comme des vestiges historiques mêlant tradition, droit privé et fonctions publiques limitées. Vous trouverez ci-dessous les principales étapes de leur formation, leur rôle dans l’histoire valaisanne et les transformations qu’elles ont subies.
2. Origine et avènement des communes autonomes
2.1 Une lente émancipation des seigneuries foncières
L’origine des communes valaisannes remonte à la dissolution des seigneuries foncières au XIIIᵉ siècle. Dans le contexte médiéval, les seigneurs féodaux dominaient non seulement les terres mais aussi les habitants, contrôlant l’économie locale et imposant leur pouvoir par des impôts et des obligations militaires.
Cependant, certains villages ont progressivement obtenu leur autonomie :
- Par achat de privilèges : Les communautés locales rachèteraient des droits ou des terres à leurs seigneurs.
- Par concessions militaires : En échange de leur soutien dans les guerres contre des ennemis externes, notamment la Savoie, les paysans valaisans gagnaient des droits accumulés.
2.2 Les premières communes organisées
Les historiens situent la naissance des premières communes autonomes valaisannes au XIIIᵉ siècle. Parmi les plus anciennes :
- Sion : Dès 1217, la ville possède son propre droit municipal.
- Loèche et Viège : Elles ont obtenu leur indépendance grâce à des chartes de franchise, comme celle de Sembrancher (1239), qui accorde aux habitants des droits sur leurs terres.
2.3 Le rôle de la religion
La religion a également joué un rôle clé. Les premières paroisses étaient souvent au cœur des villages, et leur émergence coïncidait avec l’affranchissement des communautés locales. Les archives montrent que les paroisses géraient parfois les biens communs et servaient de pivot pour la vie collective.
2.4 L’impact des évêques de Sion
Les évêques de Sion, bien qu’exerçant une autorité temporelle, dépendaient du soutien des habitants locaux pour protéger leur pouvoir contre des seigneurs plus puissants. Ces alliances ont renforcé l’autonomie des communautés, créant une dynamique unique entre le pouvoir spirituel et les populations locales.
3. Les corporations paysannes : les bases des communes
3.1 Une réponse aux défis naturels
Le Valais, avec ses montagnes escarpées et son climat rigoureux, impose une coopération étroite entre les habitants. Les consortages (corporations paysannes) sont nés de cette nécessité:
- Ils géraient collectivement les alpages, les bisses (systèmes d’irrigation) et les forêts.
- Ils fixaient des règles précises pour l’usage des terres communales.
3.2 L’organisation des consortiums
Les consortages étaient dirigés par des mandataires élus, souvent appelés procureurs. Ces dirigeants étaient responsables de :
- Superviser les travaux communautaires (entretien des bisses, des chemins, etc.).
- Régler les conflits entre membres.
- Faire respecter les statuts locaux.
3.3 Premiers statuts écrits
Les premiers statuts de consortages datent du XIIIᵉ siècle. Par exemple :
- Le statut de l’alpe d’Egine (Val d’Hérens) (1240) réglementait l’usage des pâturages.
- Les chartes de franchises des villages comprenaient des clauses sur les droits collectifs, garantissant aux paysans un accès équitable aux ressources.
3.4 Patrimoine germanique et autonomie
Selon certains historiens, l’idée des consortages s’enracine dans les traditions germaniques des envahisseurs burgondes et alémaniques. Ces peuples introduisent en Valais le concept de Markgenossenschaften (communautés paysannes), qui influence la structure des consortages.
4. Passage des consortages à la bourgeoisie
4.1 Le concept de bourgeoisie
La bourgeoisie, en tant qu’entité juridique, émerge entre les XIVᵉ et XVᵉ siècles. Elle représente une évolution des consortiums vers des communautés ayant des droits politiques. Les bourgeoisies étaient responsables de protéger les membres, de gérer les biens communs et de réguler l’accès aux droits locaux.
4.2 Les droits de la bourgeoisie
Le droit de la bourgeoisie, qui garantissait l’accès aux ressources et aux droits politiques locaux, pouvait s’acquérir :
- Par filiation (héritage familial).
- Par mariage.
- Par achat, il est possible d’ajouter une taxe d’entrée.
4.3 Responsabilités des bourgeoisies
Les bourgeoisies géraient :
- Les forêts, alpages et terres agricoles.
- La collecte des impôts.
- Les infrastructures collectives (ponts, bisses, etc.).
Elles réglaient également les litiges entre leurs membres et représentaient la communauté dans les affaires externes.
5. La transition vers la commune politique
5.1 L’influence de la Révolution française
La Révolution française a introduit l’idée d’une commune politique basée sur le principe de l’égalité. Cela contrastait avec les bourgeoisies, où les droits étaient limités aux propriétaires fonciers et aux membres.
5.2 Constitution de 1848
La Constitution fédérale de 1848 a transformé le système communal suisse en :
- Garantissant le droit de vote à tous les citoyens résidant dans une commune, dépendant de leur statut de bourgeois.
- Créant des communes politiques distinctes des bourgeoisies.
5.3 Constitution de 1874
La révision de 1874 a renforcé ces principes en étendant les droits politiques à tous les résidents, impliquant ainsi encore plus le rôle des bourgeoisies.
6. Le dualisme administratif valaisan
6.1 Coexistence de deux communes
Le Valais a adopté un modèle unique en Suisse, maintenant une séparation entre :
- La commune bourgeoise , qui gère les biens communs.
- La commune politique , qui administre les affaires publiques.
6.2 Contributions des bourgeoisies
Les bourgeoisies sont obligées de contribuer aux charges publiques, notamment pour :
- L’éducation (meubles de bois de chauffage pour les écoles).
- Les infrastructures communales (entretien des routes, ponts, etc.).
- L’assistance sociale.
Cependant, cette dualité a souvent engendré des conflits, notamment sur la gestion des biens et les responsabilités financières.
7. La bourgeoisie aujourd’hui : survie et défis
7.1 Un rôle réduit
Aujourd’hui, les bourgeoisies ne jouent plus qu’un rôle limité, principalement centré sur :
- La gestion des forêts, alpages et autres biens communs.
- L’attribution du droit de bourgeoisie.
7.2 Gestion des biens communs
Les forêts et alpages restent la propriété des bourgeoisies, mais leur usage est strictement réglementé. Les revenus doivent souvent être réinvestis dans leur entretien ou utilisations pour des projets communautaires.
7.3 Défis contemporains
Les bourgeoisies sont confrontées à plusieurs défis :
- Une charge financière croissante imposée par l’État.
- Une diminution de leur pertinence dans un monde de plus en plus centralisé.
- Des tensions avec les communes politiques sur la gestion des ressources.
8. Conclusion
Les bourgeoisies valaisannes incarnent une tradition unique, dépendante des habitants à leur territoire et à leur histoire. Bien que leur rôle ait diminué, elles restent un symbole fort de la solidarité et de la gestion collective qui caractérisaient autrefois la vie en Valais. Leur préservation pourrait offrir une clé pour comprendre l’évolution des institutions suisses et européennes.
Tiré de Les Bourgeoisies du Valais par Werner KÄMPFEN Traduit de l’allemand par Grégoire Ghika consultable à cette adresse: https://doc.rero.ch/record/17614/files/I-N177-1965-007.pdf