1. Contexte historique : la Grande Commune de Lens
Jusqu’au début du XXe siècle, Chermignon faisait partie de la Grande Commune de Lens, un vaste territoire regroupant quatre sections : Lens, Chermignon, Montana et Icogne. Ces sections fonctionnaient à la fois comme des entités semi-indépendantes, avec leurs propres administrations locales, et comme parties d’une organisation collective pour la gestion des biens et intérêts communs.
Le fonctionnement collectif trouvait ses racines dans des infrastructures comme les bisses (notamment le Bisse du Roh), dont l’entretien nécessitait une coopération intercommunale. Ces structures, construites dès le XIVe siècle, symbolisaient l’interdépendance des sections pour le partage des ressources en eau, cruciales pour l’agriculture de la région.
2. Une autonomie marquée des sections
Malgré leur appartenance à la Grande Commune, les sections géraient librement leurs affaires locales, ce qui renforçait leur identité propre. Chermignon se distingue par la richesse de son patrimoine agricole et viticole, ses traditions et ses pratiques religieuses. La communauté bénéficiait également de structures telles que des écoles, des chapelles et des services locaux adaptés à ses besoins. Cependant, cette autonomie s’accompagnait de désaccords grandissants sur la gestion des intérêts communs.
3. Les tensions internes : un équilibre fragile
À mesure que les sections se développaient, les tensions entre elles et avec Lens s’intensifièrent. Ces conflits portaient notamment sur :
- La répartition des charges : Chermignon et les autres sections estimaient injustement la répartition des coûts liés à l’entretien des chemins, des forêts et des infrastructures collectives.
- Les biens mixtes : L’accès aux terrains communs et leur gestion collective étaient sources de désaccords fréquents.
- La centralisation : La position dominante de Lens, en tant que siège religieux et administratif, était perçue comme une tentative d’hégémonie. Les autres sections craignaient que Lens impose ses décisions aux dépens de leur autonomie.
4. La crise politique et les premières tentatives de séparation
Dès la fin du XIXe siècle, des demandes explicites de séparation émergèrent. En 1891, Chermignon, Montana et Icogne déposèrent des pétitions pour réclamer leur indépendance administrative. Ces revendications furent alimentées par un sentiment croissant d’injustice dans la gestion des biens communs et par une volonté de mieux répondre aux besoins locaux.
En 1896, Lens propose une centralisation complète des sections sous une administration unique. Cette initiative a provoqué une réaction unanime des trois autres sections, qui ont perçu cette démarche comme une menace à leur autonomie. En mai 1897, Chermignon, Montana et Icogne s’unirent pour déposer des plaintes communes auprès du Grand Conseil, réclamant une séparation totale.
5. La décision du Grand Conseil en 1901
Après des années de débats, le Grand Conseil du Valais vota en 1901 pour la séparation des sections en communes indépendantes. Cette décision reposait sur plusieurs constats :
- Les sections fonctionnaient déjà comme des entités autonomes pour la plupart de leurs affaires locales.
- La diversité géographique et économique de la région rend difficile une centralisation efficace.
- La séparation permet une gestion plus adaptée aux besoins spécifiques de chaque commune, tout en préservant des mécanismes de coopération pour les biens indivis.
6. La mise en œuvre de la séparation en 1905
La séparation devint effective au 1er janvier 1905. Chermignon devint une commune indépendante avec des limites territoriales clairement définies. Les biens communs, tels que les alpages, les forêts et les bisses, restèrent en propriété collective et furent placés sous la gestion d’une Grande Bourgeoisie regroupant les quatre nouvelles communes. Ce modèle visait à préserver un lien entre les anciennes sections malgré leur autonomie.
Partage des ressources :
- Biens propres : Chaque commune conserve ses avoirs locaux (terrains, infrastructures, fonds).
- Biens indivis : Les alpages et forêts furent répartis proportionnellement selon la population de chaque commune.
- Soutien mutuel : Des accords furent établis pour l’entretien commun de certains chemins et infrastructures, notamment dans les zones forestières.
7. Impact de la séparation
La séparation permit à Chermignon de se doter d’une administration plus réactive à ses besoins. La commune investit dans des infrastructures modernes, comme des routes dépendant de Granges, Sierre et Montana. Elle a également développé ses traditions culturelles et religieuses, telles que les processions de la Saint-Georges, tout en affirmant son identité unique.
Cependant, les liens historiques entre les anciennes sections demeurèrent importants. La Grande Bourgeoisie, qui gérait les biens communs, joua un rôle clé dans la préservation de cette mémoire collective. Elle permet également de maintenir une coopération sur des enjeux partagés, comme l’entretien des bisses et des alpages.
Tiré de « Notices historique sur la Contrée de Lens », par Pierre Gard Prieur de Lens, le Livre à la Carte, 1996